Le régime parlementaire britannique : corrigé

Sujet « L’équilibre des pouvoirs au Royaume-Uni »

Je vous propose un corrigé sur le sujet intitulé « L’équilibre des pouvoirs au Royaume-Uni ».

Corrigé intégral

Introduction

Phrase d’accroche du sujet

Dans tous les Etats monarchiques, « le roi règne mais ne gouverne pas ». Cette formule permet d’illustrer ce qu’est le régime britannique, qui sera au fil du temps, considéré comme l’archétype du régime parlementaire.

Définition des termes du sujet

Le régime britannique est un régime politique qui, en tant que régime parlementaire, répond à un certain nombre de principes fondamentaux propres à ce type de régime dit de « séparation souple des pouvoirs ». En effet, le régime parlementaire est un régime représentatif reposant « sur la collaboration et la dépendance réciproque des pouvoirs publics ». Ainsi, le Roi demeure irresponsable politiquement. C’est le Gouvernement, présidé par le Premier ministre, qui endosse cette responsabilité devant le Parlement bicaméral. Ce dernier, composé de deux chambres, la chambre des Lords et la Chambre des Communes, peut en contrepartie être dissous par le pouvoir exécutif.

Dès lors, ces moyens d’actions permettent de garantir un certain équilibre des pouvoirs. Cet équilibre est organisé via une séparation des pouvoirs. Indissociable de l’établissement progressif de ce régime parlementaire, l’émergence de la théorie de la séparation des pouvoirs a fortement influencé un combat commencé des siècles plus tôt (XIIIè siècle).

Contexte et intérêt du sujet

En effet, c’est dans un tel contexte qu’a eu lieu une lutte pour une meilleure répartition des pouvoirs de l’Etat, non plus concentrés dans les seules mains du pouvoir royal, mais plutôt répartis de manière équilibrée entre différents organes étatiques. Le pouvoir correspondant ici à « l’ensemble des compétences juridiques et des capacités matérielles de l’Etat ; compétence suprême permettant de contrôler l’exercice des autres » (selon Gérard Cornu, Vocabulaire juridique), il est aisément concevable que la concentration de ce pouvoir en une seule et même autorité puisse bien souvent conduire à des abus, voire à la tyrannie.

C’est afin de surmonter ces dérives que de grands penseurs ont, dès la fin du XVIIè siècle, théorisé une réflexion politique de séparation des pouvoirs, théorie visant alors une organisation étatique juste et viable. Locke (1632 – 1704) et Montesquieu (1689 – 1755) sont les principaux représentants de ce courant philosophique juridique. Le traité du gouvernement civil, publié par le premier en 1690, aura des retombées indéniables au Royaume-Uni, patrie du philosophe anglais. Montesquieu reprendra les fondamentaux de la réflexion lockienne, et publie en 1748 De l’Esprit des lois. Il revient, au sein de cet ouvrage, à la nécessaire distinction de trois pouvoirs étatiques : le pouvoir législatif (l’adoption des lois), le pouvoir exécutif (l’application des lois), et le pouvoir juridictionnel (règlement des différends relatifs à l’application des lois). Tout comme Locke, il ne préconise pas une séparation absolue entre ces puissances, mais plutôt une distribution de ces pouvoirs. Il n’est pas question pour chacun d’entre eux d’agir arbitrairement, « Il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ».

La séparation des pouvoirs ne signifie donc pas ici que les autorités doivent être spécialisées et indépendantes comme le suggérerait le régime présidentiel. Ce principe signifie qu’une seule et même autorité ne doit pas exercer tous les pouvoirs. De cette façon , il semble nécessaire d’instaurer des pouvoirs constitués ayant chacun leur propre sphère de compétences, outre le fait de pouvoir exercer des moyens d’actions l’un sur l’autre.

En effet, ces théories exigent l’existence d’une distinction des pouvoirs afin qu’aucun organe ne puisse être trop puissant, mais elles préconisent également que l’exercice de ces contrepoids soit effectif par leurs interactions (éviter les éventuels abus d’une puissance par un moyen de contrôle), et leur organisation interne (le bicamérisme permet, par exemple, un meilleur examen des projets de loi par le débat). C’est une séparation des pouvoirs dite souple qui est envisagée, elle se construit fondamentalement dans cet objectif de viabilité. Il est en effet fondamental, pour ces deux auteurs, que la liberté soit assurée, or elle ne l’est que si la séparation des pouvoirs est organisée de sorte qu’elle soit équilibrée. La séparation des pouvoirs est donc un des outils nécessaires à l’établissement d’un meilleur régime, mais cet outil n’est efficace que si sa mise en œuvre respecte certains principes.

L’intérêt du sujet réside, dès lors, dans le fait de savoir sur quels critères cette séparation souple des pouvoirs doit-elle se fonder afin de parvenir à être juste et donc viable. En effet, au sein du régime parlementaire du Royaume-Uni, les organes étatiques auxquels sont attribués ces pouvoirs étatiques possèdent un pouvoir variable. L’attribution du pouvoir semble répondre de la légitimité de l’organe en question (légitimité de nos jours de plus en plus démocratique), ainsi que de sa responsabilité, c’est-à-dire du contrôle qui peut être exercé sur lui (au sein de l’organe même ou par un organe relevant d’un autre pouvoir). Etudier l’organisation constitutionnelle du Royaume-Uni (Angleterre, Écosse, Pays de Galles, et Irlande du Nord), pensée au sein d’une quête de l’équilibre des pouvoirs, éclaire la conception du droit constitutionnel européen contemporain : en effet, tous les pays de l’Union Européenne ont mis en place un régime parlementaire (à l’exception de Chypre). Ce régime se distingue du régime présidentiel (modèle étasunien), dont l’équilibre est visé via l’organisation d’une séparation dite rigide des pouvoirs. Il conviendra cependant de ne pas oublier les particularités de l’organisation de cet équilibre des pouvoirs au Royaume-Uni, liées à son histoire, à ses coutumes, et d’où découle notamment le fait notoire qu’il est le seul à ne pas posséder de Constitution écrite.

Ainsi, l’analyse du fonctionnement institutionnel actuel au Royaume-Uni, monarchie constitutionnelle parlementaire unitaire, ne peut se comprendre sans connaissances de l’éprouvante quête préalable d’équilibre des pouvoirs qui a marqué son histoire et qui reflète l’évolution même des « ingrédients » nécessaire à l’équilibre des pouvoirs.

Problématique

Dans quelles mesures l’organisation des pouvoirs étatiques qui s’est progressivement construite au Royaume-Uni concrétise-t-elle l’ambition nécessaire d’un équilibre des pouvoirs ?

Justification de la problématique

En effet, le régime de séparation équilibrée des pouvoirs actuel du Royaume-Uni se fonde sur plusieurs événements l’ayant modelé. D’abord la quête de l’acquisition par les différents pouvoirs de leur indépendance face au monarque, puis la lutte pour l’extension de leurs attributions. Tout cela inscrit au cœur d’une volonté de stabilité, et de légitimité, inhérente à cette ambition d’équilibre des pouvoirs. 

Annonce de plan

Ainsi, si l’équilibre des pouvoirs au Royaume-Uni organisé via une séparation des pouvoirs est en théorie respecté (I), force est de constater qu’il est ébranlé en pratique et demeure une ambition toujours d’actualité (II).

Parties

I – Un équilibre des pouvoirs en théorie respecté

Si le pouvoir législatif tient sa puissance de ses moyens de contrôler le pouvoir exécutif ainsi que de la légitimité démocratique (A), la puissance du pouvoir exécutif est proportionnée à la responsabilité du Roi et du gouvernement (B).

A – Un pouvoir législatif puissant

Les pouvoirs du Parlement ne sont pas nés de sa qualité d’organe de représentation du peuple. Le Parlement s’est tout d’abord imposé en tant que contrepoids au pouvoir monarchique arbitraire (notamment en ce qui concerne la Chambre basse). Cela constitue une première étape vers un équilibre de balance des pouvoirs.

Quelques évènements majeurs illustrent cette quête historique du Parlement anglais. En 1215, la Magna Carta est signée par Jean sans terre, préconisant que le roi doit accepter les lois du « Parlement » afin que ce dernier puisse donner son consentement à l’impôt. Mais cette victoire sera bientôt vaine face à un pouvoir royal qui s’autorise la dissolution du Parlement en cas de conflit, sans qu’aucun organe ne soit assez puissant pour l’en empêcher (déséquilibre des puissances empêchant une véritable séparation des pouvoirs). Au XVIIè siècle, de grandes contestations s’élèvent : lors de l’épisode de la Grande Remontrance (1641), les parlementaires souhaitent que le gouvernement ait leur confiance, leur position l’emportera en 1645. Encore une fois, l’exécutif étant plus fort, celui-ci bafoue cet acquis.

Il faut attendre 1689 pour que soit adopté le Bill of Rights, déclaration des droits qui impose que le Parlement soit réuni chaque année. Ainsi, ses dissolutions intempestives ne sont plus possibles, et sa consultation rendue obligatoire. Ce texte permet notamment que le pouvoir de faire la loi ne soit plus contrôlé de manière disproportionnée par le pouvoir exécutif, soit le roi, qui ne peut quasiment plus suspendre l’exécution de la loi. Dorénavant, la loi est adoptée après le vote des deux chambres. L’équilibre des pouvoirs actuellement en place au Royaume-Uni s’est peu à peu construit : il a tout d’abord été conçu comme un nécessaire besoin de lutter contre un pouvoir exécutif arbitraire, car entièrement entre les mains d’un monarque, auquel le pouvoir législatif, attribué au Parlement, ferait contrepoids. Ce contrepoids s’est d’abord exercé par l’extension des attributions du Parlement en matière législative, puis par l’instauration progressive de moyens lui permettant de contrôler le pouvoir exécutif.

A cette période de reconstruction de l’organisation politique du Royaume-Uni se mêlent des pensées philosophiques émergeant au XVIIè siècle ainsi qu’au XVIIIè siècle, siècle des Lumières. Les pensées anglaises et françaises s’enrichissent mutuellement. Ainsi éclot au Royaume-Uni l’idée clé de liberté, chez John Locke notamment, poussant l’équilibre des pouvoirs à se perfectionner en encourageant l’extension de la puissance du pouvoir législatif, une extension des pouvoirs qui sera dorénavant peu à peu justifiée par la légitimité démocratique du Parlement qui, bicaméral, possède une Chambre populaire. Le droit de vote qui était alors accordé à seulement 5% de la population est élargi en 1832. En 1918 est instauré le suffrage universel masculin, dix ans plus tard les femmes obtiennent le droit de vote. Cette tendance démocratique occidentale fait dès lors partie intégrante des critères nécessaires à l’équilibre des pouvoirs (ainsi en est-il aux Etats-Unis, régime pourtant présidentialiste). De ce fait, la chambre des Lords perd peu à peu de son importance face à la chambre basse. La Chambre haute est jugée archaïque, non adaptée à l’intégration de la légitimité démocratique comme critère justifiant la puissance. Les aristocrates de la chambre des Lords ne sont pas légitimes, ils ne peuvent pas avoir de grands pouvoirs législatifs : depuis 1948, la Chambre des Lords dispose d’une année seulement pour s’opposer à l’adoption d’un projet de loi, passé ce délai, la chambre basse a le jeu libre. En effet, la légitimité démocratique attribue aux membres de la chambre basse, directement élus, le titre de réprésentants du peuple, ils sont donc directement responsables devant le souverainement populaire.

Leur légitimité démocratique, ainsi que leur responsabilité, permet qu’un grand pouvoir soit attribué aux députés. Cependant, on peut concevoir le maintien de deux chambres comme un contrepoids interne au pouvoir législatif, assurant l’efficacité de ses décisions par de constructifs débats.

Le pouvoir législatif n’est plus seulement le pouvoir qui permet que le législatif ne soit pas concentré dans les mains de celui qui est également l’incarnation de l’exécutif (le roi), il est également contrepoids au sens où il se voit attribués des moyens de contrôler le gouvernement afin de veiller à ce qu’il exerce correctement son pouvoir d’application des lois, et en empêcher des potentielles dérives. Pour ce faire, les parlementaires vont d’abord mettre à profit la responsabilité pénale des ministres, qu’ils réussissent à utiliser peu à peu comme responsabilité politique. Il s’agissait d’éviter que le roi puisse continuer à signer des actes réglementaires non conformes aux idées du Parlement. Le ministre contresignataire ne devait pas les signer, sous menace d’être frappé de la procédure d’impeachment. La majorité parlementaire est alors assez puissante pour forcer des ministres contresignataires à la démission plutôt qu’à la signature d’un acte auquel s’opposerait le Parlement. C’est en 1742 que, pour la première fois, un ministre est contraint par le Parlement à démissionner pour raisons politiques. La responsabilité des ministres devant le Parlement se met peu à peu en place. Parallèlement, la confiance du Parlement donnée au gouvernement conforte l’équilibre par le contrôle.

Phrase de transition entre le (A) et le (B)

Les ministres sont donc légitimes car responsables, et par conséquent puissants. Comment la puissance de l’exécutif s’exerce-t-elle alors, en vue de répondre aux exigences de l’équilibre des pouvoirs?

B – Un pouvoir exécutif bicéphale à la puissance indissociable de sa responsabilité

La puissance de l’exécutif, et notamment sa répartition, a connu une évolution intéressante car indéniablement liée à l’évolution de la conception d’équilibre des pouvoirs : la puissance du gouvernement a logiquement augmenté, au détriment de celle du monarque. En effet, même après la Grande Remontrance, les ministres, en tant que ministres du roi, ne pouvaient être responsables politiquement devant le Parlement. Ils étaient en réalité totalement impuissants car totalement subordonnés au monarque, qui concentrait en ses mains de grands pouvoirs. Ainsi, les ministres qui étaient pourtant contresignataires en droit, ne pouvaient pas, dans les faits, refuser de signer un acte du Roi. Il faut alors comprendre que le roi était tout puissant car irresponsable, l’équilibre des pouvoirs n’était pas respecté, la politique répondait à une « loi du plus fort » qui permettait au pouvoir exécutif royal de s’attribuer de grandes compétences du domaine législatif. Cependant, si cette « loi du plus fort » a longuement fonctionné, c’est parce que la notion de légitimité, qui contribuait tout de même à cette loi du plus fort soit favorable au monarque, était fondée sur la coutume, sur le droit divin.

Si irresponsabilité engendrait alors puissance, dans un régime aux pouvoirs équilibrés, irresponsabilité engendre impuissance. Depuis le milieu du XIXè siècle, le régime n’est plus dualiste, les ministres ne sont plus responsables devant le roi et le Parlement, mais seulement devant ce dernier. Tant que la chambre des Lords était puissante, le roi parvenait à maintenir un contrôle abusif sur le législatif, mais aujourd’hui tel ne peut plus être le cas, étant donné que la noblesse, autant que le monarque, souffre d’un manque de légitimité démocratique, et ne saurait en ce sens être responsables. C’est pour éviter tout usage abusif de la légitimité « royale » (et non pas démocratique), que le régime juridique du Royaume-Uni a réduit les pouvoirs du monarque, au profit du gouvernement devenu, lui, responsable devant le Parlement. Parallèlement au développement des compétences réelles du gouvernement, les pouvoirs du monarques ont logiquement connu l’évolution inverse, jusqu’à ce que ses compétences deviennent purement formelles. De cette légitimité « royale » ne peut que découler un pouvoir symbolique, auquel le pays est attaché par tradition. La reine d’Angleterre, lorsqu’elle appose son sceau royal à une loi adoptée au Parlement, est officieusement liée par la décision du Parlement car n’aurait aucune légitimité à s’y opposer. Ainsi, son droit de véto est inutilisé depuis presque un siècle. Auparavant le roi nommait les ministres à qui il déléguait ses pouvoirs exécutifs. Aujourd’hui, la reine ne nomme plus les ministres que sur recommandation du Premier ministre, représentant de la majorité légitime au Parlement, et responsable devant lui. Par ailleurs, le pouvoir de contreseing est aujourd’hui utilisé afin de donner au ministre le pouvoir réel de signer, signature qu’accompagne la signature formelle du monarque. Irresponsabilité et illégitimité démocratique engendre une puissance moindre, et donc, des pouvoirs très majoritairement formels.

La légitimité au cœur du processus d’équilibre des pouvoirs est une légitimité démocratique. Ainsi, le pouvoir exécutif après avoir décliné au profit du législatif, ce dernier a décliné au profit du gouvernement. En effet, le gouvernement est légitimité par les parlementaires, représentants du peuple qui lui accordent sa confiance. Le gouvernement est donc responsable devant le Parlement (au Royaume-Uni, cela se veut assuré par le fait que les ministres sont des parlementaires), qui peut décider la défiance en cas de conflit. La défiance est rarement mise en œuvre, ce garde-fou permet cependant de légitimer l’attribution au gouvernement de sa puissance. La puissance du gouvernement est, par ailleurs, assurée par le système électoral instauré au Royaume- Uni, et unique en Europe, qui consiste à élire les députés au scrutin majoritaire à un tour : une majorité claire et disciplinée se dégage. Le chef du gouvernement, étant le leader de cette majorité qui l’a élu, il lui est donc assuré d’une certaine marge d’action offerte par le Parlement devant lequel il est responsable. Le gouvernement est responsable et légitimité par le Parlement, le Premier ministre, chef de la majorité parlementaire est donc très puissant.

Le gouvernement peut alors faire office de contrepoids face au Parlement. En effet, l’équilibre des pouvoirs ne peut être conçu si le contrôle entre deux pouvoirs ne s’exerce que dans un seul sens. Ainsi, le gouvernement disposant souvent d’une claire majorité, il lui est assez aisé de faire voter au Parlement des règlements. Notons que le Royaume-Uni ne dispose pas de Constitution écrite, et donc il n’y a pas, matériellement, d’articles disposant quel est le domaine de la loi (au sens strict) et quel est le domaine des décrets et règlements (équivalent de nos articles 34 et 37 de la Constitution française actuelle). La séparation des pouvoirs entre législatif et exécutif n’est donc pas absolue, ce qui peut contribuer à l’équilibre des pouvoirs, évitant les dérives d’une institution, et forçant les débats constructifs entre ces institutions. C’est également vers cet équilibre qu’était conçue la possibilité réelle pour le premier ministre de dissoudre la Chambre des Communes. Cette dissolution dite dissolution-sanction était envisagée comme un moyen de maintenir un équilibre politique, un ordre, quand le gouvernement considérait que les plans de la Chambre des Communes ne coïncidaient pas avec les besoins du peuple. L’équilibre des pouvoirs est donc aussi d’ordre potentiel, la dissolution étant censée être un garde-fou. Cette dissolution-sanction pouvait se transformer en dissolution de combat, visant à assurer au gouvernement un Parlement qui le soutient. On peut alors s’interroger sur l’éventuel excès des processus supposés servir l’équilibre des pouvoirs.

Phrase de transition pour amener le (II)

Il est donc intéressant d’aborder, dans une seconde partie, les difficultés que doit encore surmonter l’ambition d’un régime aux pouvoirs équilibrés pour se perfectionner.

II – Un équilibre des pouvoirs en pratique ébranlé

La question de la place et du rôle du pouvoir judiciaire au sein de l’équilibre des pouvoirs est à éclaircir (A), d’autant plus que des difficultés liées à cet équilibre sont encore à considérer(B).

A – Un pouvoir judiciaire équilibré et équilibrant

Le pouvoir judiciaire est sans doute le pouvoir qui a mis le plus de temps à trouver sa place au sein de l’organisation équilibrée des pouvoirs. Les juges ont longtemps été totalement dépendants du monarque qui les nommaient et pouvaient les révoquer. L’acquisition de leur indépendance, nécessaire dans la théorie de séparation des pouvoirs, nécessaire en vue de l’établissement d’un régime juste, donc équilibré, s’est confrontée à l’incertitude de la position que ce pouvoir devait occuper face aux deux autres plus évidemment enchevêtrés. Au Royaume- Uni, l’histoire a mis au jour un système de Common law se distinguant du droit civil romain, notamment par l’importance majeure que joue la jurisprudence dans les décisions que doivent prendre les juges. Mais ce principe n’a que partiellement permis aux juges d’acquérir leur indépendance. Ainsi, Lord Philips of Worth Matravers nous livre dans ses notes écrites à l’occasion du colloque du cinquantenaire du Conseil constitutionnel français (3 novembre 2008) que le « juge de rang le plus élevé, le Lord Chancellor, était également l’un des ministres du Gouvernement les plus élevés dans la hiérarchie ministérielle. Il était, en fait, le ministre de la Justice. Il présidait également la Chambre des lords dans ses fonctions législatives. Il était chargé de la nomination et de la discipline des juges. Il menait à bien toutes ces fonctions sans aucun parti pris politique, ce dont tout le monde n’avait pas forcément conscience. Il était l’antithèse même de la séparation des pouvoirs. Il incarnait le cumul des pouvoirs. ». L’auteur de ces notes évoque la situation du pouvoir judiciaire avant 2005, celle d’un pouvoir judiciaire qui ne trouvait pas sa place au sein d’un régime d’équilibre des pouvoirs.

C’est afin de progresser en la matière qu’une réforme intervenue en 2005 a modifié la situation. Le Lord Chancellor n’exerce plus aucune fonction judiciaire, il participe simplement au pouvoir exécutif en tant que Ministre de la Justice. Le statut de Lord Chief Justice a été créé pour désigner celui qui est le premier magistrat. Des progrès ont également été fait quant à la nomination des juges, ils le sont dorénavant après consultation d’une commission indépendante (la Judicial Appointments Commission) et non plus sur requête des deux chambres du Parlement. L’indépendance du pouvoir judiciaire a indéniablement progressé grâce à cette réforme. Cette quête d’un régime équilibré s’est poursuivie, en 2009, par la création d’une Cour Suprême, instance judiciaire la plus haute du Royaume-Uni. La création de cette Cour Suprême accentue encore l’indépendance du pouvoir judiciaire face au pouvoir législatif. En effet, avant cela, douze Law Lords appartenaient à la Chambre des Lords, ils seront dorénavant les douze membres de la Cour Suprême.

Si ces avancées sont notables, sont-elles suffisantes? Il faut constater que dans bien d’autres pays, les juges participent activement à l’équilibre des pouvoirs en tant que « régulateurs » des lois (au sens large), ils sont considérés comme légitimes notamment du fait de leur indépendance, de leurs compétences, et de leur impartialité. Sur ce point, le Royaume-Uni semble encore avoir des progrès à faire. Tout d’abord, il ne dispose pas de Conseil constitutionnel. Ceci est fondamental pour assurer, notamment, que l’équilibre des pouvoirs conçue dans la Constitution non-écrite du Royaume-Uni soit correctement respecté. Si aux Etats-Unis il n’y a pas de Conseil constitutionnel, la Cour Suprême y peut annuler une disposition législative pour cause d’inconstitutionnalité, ce qui n’est pas le cas au Royaume-Uni. Cependant, la Cour Suprême peut tout de même exercer un contrôle juridictionnel non négligeable, car elle exerce indirectement un contrôle de conventionnalité des lois : si la Cour Suprême du Royaume-Uni ne peut faire prévaloir des dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme face à une loi interne, elle doit transmettre ce conflit au Parlement, qui s’occupera alors d’une mise en conformité.

On constate que, si des progrès ont été faits, le contrôle juridictionnel n’est pas pour autant évident à assurer au Royaume-Uni, alors même qu’il est primordial en vue d’atteindre l’équilibre des pouvoirs, car il permet d’assurer cet équilibre par un contrôle plus global. Il ne suffit pas que le régime soit équilibré, encore faut-il que le système dans lequel il fonctionne le soit également et cette mission est perpétuelle. L’équilibre des pouvoirs ne peut jamais être acquis, le contrôle juridictionnel doit y veiller incessamment.

Si des mesures nouvelles peuvent être officiellement prises en ce sens, il convient de préciser que cette quête ne sera pas aisée. En effet, elle se heurte à la puissance du Parlement. Les tribunaux doivent respecter le principe de la suprématie du Parlement dans le domaine législatif (expliquée auparavant), leur lutte pour de nouvelles lois en ce sens ne peut donc que s’avérer compliquée. Néanmoins, la marge d’interprétation des juges du Common law leur permet de réduire considérablement les conséquences de la législation visant à limiter le contrôle juridictionnel, qui, s’il reste imparfait, est convenable.

Phrase de transition entre le (A) et le (B)

D’autres imperfections se soulèvent dans cet « éco-système » d’équilibre des pouvoirs.

B – Un équilibre des pouvoirs fragile

Le Royaume-Uni connait, comme bon nombre d’autres pays (Allemagne, France, Japon…), un système politique à tendance présidentialiste s’installant peu à peu dans son régime pourtant parlementarisme. Cette tendance présidentialiste est marquée, au Royaume-Uni, non pas par l’essor des compétences du chef de l’Etat, mais par celles du chef du cabinet, soit le Premier ministre. L’apparition de cette tendance est pourtant liée à l’ambition de l’équilibre des pouvoirs. En effet, il s’agissait initialement d’éviter l’instabilité des pouvoirs en renforçant les prérogatives de l’exécutif, notamment pour éviter qu’il ne soit trop souvent dissout par le Parlement. D’autre part, si le Premier ministre a pu être celui vers qui tend le présidentialisme au Royaume-Uni, c’est parce qu’il est d’abord le chef d’une majorité politique que l’on a voulu disciplinée au Parlement, afin que celui-ci soit également stable, discipliné. Ainsi, dans la première moitié du XXè siècle, la rationalisation du parlementarisme correspondait à la mise en place de mécanismes dont l’objectif était de renforcer la stabilité gouvernementale.

Aujourd’hui, l’équilibre doit être rétabli en limitant la force de contrepoids du pouvoir exécutif. En ce sens a été adopté en 2011 le Fixed-Term Parliament, disposant que le droit de dissolution de la Chambre des Communes par le chef de l’Etat (via le Premier ministre) est supprimé. Armel Le Divellec, juriste agrégé en droit public, résume très clairement la situation nouvelle dans un article justement intitulé « Un tournant de la culture », publié dans la revue électronique qu’il co-dirige : www.juspoliticum.com. Il explique : « […] des élections anticipées ne pourront désormais être décidées que par l’autodissolution votée à la majorité des deux tiers des députés ou bien tenues de manière automatique dans l’hypothèse où la Chambre, ayant officiellement retiré sa confiance à un Gouvernement ne l’accorde à aucun autre dans le délai de quatorze jours. Au-delà des difficultés pratiques qu’un tel dispositif pourrait poser, pareille rationalisation représente une rupture dans la culture constitutionnelle britannique. ». La puissance du Premier ministre, découlant notamment de son droit de dissolution, est réduite par cet encadrement qui semble nécessaire au maintien de l’équilibre des pouvoirs qui s’était progressivement déséquilibré, dans les faits, en faveur d’un Prime-Minister-System.

Nous constatons donc que l’équilibre des pouvoirs, bien que particulièrement important au sein de l’organisation institutionnelle du Royaume-Uni, doit être sans cesse surveillé, car la vie politique, par principe mouvante, peut rapidement le déséquilibrer. Des facteurs externes peuvent également intervenir. Prenons pour exemple les multiples règlements et directives de l’Union Européenne, il convient qu’elles trouvent leur place dans l’équilibre des pouvoirs, il faut être particulièrement prudent face à l’augmentation exponentielle de cette place encore floue au sein du système légal interne du Royaume-Uni. En effet, on constate que les procédés de contrepoids et de contrôle ne sont pas encore tout à fait en place face à cette hausse rapide du nouveau « pouvoir » qu’est l’Union européenne. Le Parlement du Royaume-Uni, pourtant organe démocratique par excellence, est concurrencé par le droit originaire et dérivé de l’Union européenne (bien que l’on assiste, en ce sens, à la démocratisation de son Parlement). Il faut également, et nous l’avons rapidement évoqué, réfléchir à la place que devront tenir les membres du pouvoir judiciaire anglais en vue d’un équilibre des pouvoirs à repenser en y incluant également la dimension européenne. La quête de l’équilibre des pouvoirs est donc toujours d’actualité, car sans cesse à perfectionner face à des éléments externes à y intégrer.

Il faut également intégrer à cet équilibre des pouvoirs démocratiques toutes les conséquences qui en découlent. La démocratie, pour qu’elle soit effective, s’exerce dans un effort continuel. Il faut donc veiller à ce que son maintien soit assuré, ce qui passe notamment par la remise en cause de certaines institutions héritées du passé. La Chambre des Lords n’est donc pas encore tout à fait légitime : le statut de pair héréditaire a été supprimé lors de la réforme de 1999, toutefois 89 pairs héréditaires (ce qui est certes peu) ont été maintenus transitoirement en fonction. La quête de l’équilibre des pouvoirs ne peut pas se réaliser du jour au lendemain, un temps d’adaptation est parfois nécessaire. Il en va de même au cœur du système démocratique : la culture du vote a encore des progrès à faire, l’abstention porte atteinte à l’effectivité du principe démocratique. Par ailleurs, on constate que la longueur des mandats est non négligeable (le peuple peut contrôler les députés en ne les réélisant pas, pour que ce contrôle soit efficace, les mandats ne doivent pas être trop longs), tout comme le mode de représentation électoral (le système majoritaire anglais représente-t-il correctement le peuple?). Ces préoccupations démocratiques sont fondamentales pour assurer l’effectivité d’un équilibre des pouvoirs qui s’exerce continuellement.

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