1 – Qu’est-ce que le principe de légalité des délits et des peines ?
Pilier fondamental en droit pénal , le principe de légalité des délits et des peines signifie que les crimes, les délits et les contraventions doivent être préalablement définis par un texte. Autrement dit : « Nullum crimen, nulla poena sine lege« . Cette formule latine attribuée au criminaliste Anselm von Feuerbach au début du 19 ème siècle peut se traduire de cette façon : » Pas de crime, pas de peine sans loi ».

Une question en découle : le texte définissant les incriminations et les peines doit-il être un texte de loi ?
Historiquement, le principe de légalité des délits et des peines exigeait qu’une loi au sens strict les définisse. Seul le législateur était habilité à définir les incriminations et à prévoir les sanctions qui s’y rattachent.
Aujourd’hui, il peut s’agir d’une loi ou d’un texte réglementaire. En effet, un partage des compétences entre la loi et le règlement (articles 34 et 37 de la Constitution) est consacré par l’article 111-2 du Code pénal. Cet article dispose que « La loi détermine les crimes et les délits et fixe les peines applicables à leurs auteurs. Le règlement détermine les contraventions et fixe, dans les limites et selon les distinctions établies par la loi, les peines applicables aux contraventions« .
2 – Quel est l’intérêt du principe de légalité ?
L’intérêt du principe de légalité repose sur la volonté initiale d’anéantir le pouvoir arbitraire des juges qui régnait sous l’Ancien régime avec pour objectif de limiter leur rôle. Toutefois, l’enjeu actuel tend davantage à préserver la qualité de loi.
À ce propos, Cesare Beccaria affirmait dans son célèbre Traité « Des délits et des peines » publié en 1764, que « les lois seules peuvent déterminer les peines des délits et que ce pouvoir ne peut résider qu’en la personne du législateur« . La position de l’auteur est claire : le rôle du juge doit se limiter à appliquer la loi.
3 – Le principe de légalité et le juge ( légalité formelle)
Le principe de légalité encadre l’action du juge pénal lorsqu’il doit interpréter un texte pour appréhender juridiquement les faits qui lui sont soumis.

- Que signifie « interpréter un texte » ?
Interpréter une disposition légale consiste pour le juge à en rechercher le sens pour en faire une exacte application.
- Quelle méthode d’interprétation est imposée au juge pénal ?
La méthode d’interprétation imposée au juge est celle de l’interprétation stricte de la loi pénale, corollaire du principe de légalité, également applicable aux règlements.
L’article 111-4 du Code pénal dispose que « La loi pénale est d’interprétation stricte« . Ainsi, le juge doit appliquer la loi telle qu’elle a été voulue par le législateur. Il ne peut donc pas en étendre son champ d’application.
C’est d’ailleurs au visa de l’article 111-4 du Code pénal que la Cour de cassation rappelle régulièrement aux juges du fond qu’ils ne peuvent pas aller au-delà de ce qui est appréhendé par la loi.

Dans un arrêt d’Assemblée plénière rendu le 29 juin 2001, la Cour de cassation refuse que l’incrimination d’homicide involontaire soit étendue au cas de l’enfant à naître. Elle rappelle que « le principe de légalité des délits et des peines, qui impose une interprétation stricte de la loi pénale, s’oppose à ce que l’incrimination prévue par l’article 221-6 du Code pénal, réprimant l’homicide involontaire d’autrui, soit étendue au cas de l’enfant à naître dont le régime juridique relève de textes particuliers sur l’embryon ou le foetus. »
- L’interprétation littérale
L’interprétation littérale consiste à faire primer la lettre de la loi sur son esprit. L’interprétation littérale ne s’impose pas au juge de façon stricte si la loi est mal rédigée. Ainsi, le juge peut s’éloigner de la lettre de la loi si cela a pour conséquence d’ engendrer des solutions incohérentes.
- L’interprétation téléologique admise
L’interprétation téléologique signifie que le juge doit se référer à l’intention du législateur, à sa volonté, déclarée ou présumée ( la ratio legis). Le juge va notamment adapter des textes anciens à des situations nouvelles qui ne pouvaient pas être anticipées par le législateur.
Ce qui a été parfois le cas en raison de la rapidité des progrès technologiques. Dans son arrêt rendu le 6 mai 2003, la chambre criminelle de la Cour de cassation a ainsi affirmé que le réseau internet est un moyen de communication audiovisuelle au sens de l’article 2 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication. Partant, la responsabilité pénale du propriétaire d’un site internet et celle de l’auteur des propos injurieux ou diffamatoires diffusés sur ce même site peut être engagée dans les conditions prévues par l’article 93-3 issu de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle.
- L’interprétation par analogie
Principe : l’interprétation par analogie interdite
Le principe d’interprétation stricte interdit l’interprétation par analogie. Il n’est donc pas possible d’étendre un texte de loi à une situation et à un comportement qui ne sont pas expressément visés par ce texte. Même si cette situation ou ce comportement sont similaires à ceux qui sont mentionnés dans le texte de loi en question.
Avant la loi du 21 avril 2021, le délit d’exhibition sexuelle nécessitait l’exposition de la nudité du corps humain ( Cass.crim., 4 janvier 2006). La qualification d’exhibition sexuelle a donc été écartée au profit de celle d’agression sexuelle à propos d’un individu qui pratiquait la masturbation à travers son short. Le délit supposait en effet à l’époque que tout ou partie du corps soit volontairement exposé à la vue d’autrui ou du moins, paraisse dénudé.
Par la loi du 21 avril 2021, le législateur a étendu le champ de l’exhibition sexuelle pouvant être dès lors caractérisée « même en l’absence d’exposition d’une partie du corps dénudé« .
Exception : l’interprétation par analogie in favorem admise
L’interprétation par analogie est toutefois admise si elle est favorable au prévenu.
L’exemple de la légitime défense illustre parfaitement cette exception. Alors que la légitime défense n’existait que pour les personnes, la jurisprudence l’a étendue aux biens. Le Code pénal l’a consacrée par la suite.
4 – Le principe de légalité et l’autorité normative (légalité matérielle)
Le principe de légalité matérielle implique que les infractions pénales doivent être définies de façon claire et intelligible.
Exigence de clarté et de précision des textes d’incrimination

Si le principe de légalité exige que l’infraction soit définie par un texte, encore faut-il qu’il soit rédigé de façon claire et précise.
Ainsi, l’autorité législative et l’autorité réglementaire doivent clairement définir les comportements prohibés et les peines qui y sont attachées pour que la sécurité juridique et la liberté individuelle soient réellement garanties par le principe de légalité.
Cette exigence de clarté a également pour but de rendre la loi accessible aux citoyens.
C’est notamment ce qu’affirme la Cour européenne des droits de l’homme dans son arrêt du 25 mai 1993, Kokkinakis contre Grèce : « Il résulte du principe de légalité des délits et des peines qu’une infraction doit être clairement définie par la loi, condition qui se trouve remplie lorsque l’individu peut savoir, à partir du libellé de la clause pertinente et, au besoin, à l’aide de son interprétation par les tribunaux, quels actes et omissions engagent la responsabilité pénale. »
Par conséquent, il y a violation du principe de légalité lorsque les infractions sont définies de manière trop large. C’est logique puisque le risque d’arbitraire des juges demeureraient entier le cas contraire.
Le contrôle de la loi et du règlement par les juridictions
- Le contrôle de la loi
Le Conseil constitutionnel veille à ce que la rédaction de la loi soit précise. C’est la raison pour laquelle certains textes ont été abrogés : il n’étaient pas rédigés de façon intelligible.

Ainsi, les dispositions de l’article 222-33 du Code pénal incriminant le « fait de harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle » ont été censurées par le Conseil constitutionnel (décision n°2012-240 QPC du 4 mai 2012).
Dans cette décision, le Conseil constitutionnel affirmait en effet que les éléments constitutifs du délit de harcèlement sexuel prévu à l’article 222-33 du Code pénal n’étaient pas suffisamment définis.
- Le contrôle du règlement
Le contrôle peut être réalisé par voie d’action au moyen du recours par excès de pouvoir auprès des juridictions administratives ou par voie d’exception à l’occasion d’un procès pénal.
C’est l’article 111-5 du Code pénal qui donne compétence au juge pénal pour statuer sur l’exception préjudicielle tirée de l’illégalité d’un acte réglementaire. Le texte dispose que « Les juridictions pénales sont compétentes pour interpréter les actes administratifs, réglementaires ou individuels et pour en apprécier la légalité lorsque, de cet examen, dépend la solution du procès pénal qui leur est soumis. »
5 – Quelle est la valeur du principe de légalité des délits et des peines ?
Valeur législative
Le principe de légalité des délits et des peines est consacré à l’article 111-3 du Code pénal :
- Article 111-3 alinéa 1 du Code pénal
« Nul ne peut être puni pour un crime ou pour un délit dont les éléments ne sont pas définis par la loi, ou pour une contravention dont les éléments ne sont pas définis par le règlement. »
- Article 111-3 alinéa 2 du Code pénal
« Nul ne peut être puni d’une peine qui n’est pas prévue par la loi, si l’infraction est un crime ou un délit, ou par le règlement, si l’infraction est une contravention.«
Valeur constitutionnelle
Le principe de légalité des délits et des peines est un principe à valeur constitutionnelle puisqu’il est proclamé par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 qui fait partie du bloc de constitutionnalité.
L’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dispose ainsi que « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. »
La valeur constitutionnelle du principe de légalité a été confirmée par le Conseil constitutionnel (Décision du Conseil constitutionnel n°80-127 du 19 et du 20 janvier 1981 « loi renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes »).
Valeur internationale
De grands textes internationaux se réfèrent au principe de légalité des délits et des peines :
- La Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948
- Le Pacte de New-York relatif aux droits civils et politiques (16 décembre 1966)
- La Convention européenne des droits de l’homme ( Article 7)
- L’article 49 de la Charte des Droits fondamentaux de l’Union européenne
6 – Le déclin du principe de légalité ?
- Par rapport à l’incrimination
Les textes sont parfois délibérément vagues. Il arrive en effet que le législateur rédige certains termes de façon évasive pour laisser aux juges une certaine marge de manoeuvre dans leur interprétation en fonction du contexte, de l’évolution ou des enjeux de la société.
- Par rapport à la sanction
Le principe de légalité est confronté au principe d’individualisation de la peine.
Le juge dispose d’un pouvoir d’individualisation. Il peut librement choisir la nature et le quantum de la peine qu’il va prononcer pour sanctionner le condamné. L’article 132-1 alinéa 3 du Code pénal précise qu’il est libre de le faire » en fonction des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale« .
Il en résulte que le juge est libre de fixer une peine d’emprisonnement pour une durée inférieure à celle qui est encourue et dont le maximum est fixé par la loi.